Guerre en Ukraine : la diplomatie « donnant-donnant » de Donald Trump, un échec pour arrêter l’agression russe

Six mois après l’intronisation du président Donald Trump à la Maison-Blanche, son effort d’arrêter la guerre en Ukraine a échoué.
Sa promesse électorale d’y mettre fin « en 24 heures » n’a rien à voir avec la réalité diplomatique présente. Un cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine, une proposition américaine et ukrainienne, est constamment refusé par la Russie.
Quant à la « paix durable et juste » tant souhaitée par le président Volodymyr Zelensky et ses alliés européens, elle est hors de la portée des acteurs impliqués dans ce conflit.
Tandis que les alliés européens de l’Ukraine et le gouvernement canadien mènent une politique d’endiguement à l’égard de la Russie depuis son agression contre l’Ukraine, le 24 février 2022, celle du président Trump depuis le début de son mandat politique est diamétralement opposée. Il tente l’apaisement.
Contre toute base factuelle, le président américain a refusé de nommer la Russie comme étant l’État agresseur dans la guerre en Ukraine. Il est même allé jusqu’à accuser l’Ukraine d’être responsable de cette guerre.
Lors d’une réunion à la Maison Blanche, le 28 février dernier, le président et son vice-président, J.D. Vance, ont humilié Zelensky en le traitant de « petit dictateur » qui ne possède « aucune carte diplomatique à jouer », contrairement au président russe, Vladimir Poutine. Même si les relations personnelles entre Trump et Zelensky se sont améliorées par la suite, l’attitude de la politique américaine envers l’Ukraine est restée volatile et mitigée.
Professeur titulaire de relations internationales au département d’histoire de l’Université Laval, j’ai co-écrit cet article avec Sophie Marineau, doctorante à l’Université catholique de Louvain en histoire. Depuis 2014, la guerre en Ukraine et la réaction internationale vis-à-vis du conflit sont au centre de nos recherches respectives.
Depuis le début du nouveau mandat de Trump, l’aide américaine à l’Ukraine s’inscrit donc dans une dynamique résolument transactionnelle. Cette approche ne repose plus sur des principes de solidarité, de défense des valeurs démocratiques ou de sécurité collective, mais sur une logique d’échange, où toute assistance doit générer un retour concret pour les États-Unis.
Loin de la tradition multilatérale qui caractérisait les engagements occidentaux durant les premières années du conflit russo-ukrainien, cette diplomatie est structurée autour du concept de deal, dans lequel chaque concession – qu’elle soit militaire, économique ou politique – doit être compensée.
Le premier tournant majeur se produit en mars 2025 – à la suite de la rencontre Trump – Zelensky – lorsque Washington suspend sans avertissement l’aide militaire à l’Ukraine. Les États-Unis bloquent des livraisons déjà en cours, dont des systèmes antiaériens essentiels et des munitions de précision.
Cette décision, prise de manière unilatérale, vise à faire pression sur le gouvernement ukrainien pour l’inciter à accepter un cessez-le-feu temporaire avec la Russie, dans des conditions jugées inacceptables par Kyiv. Ce geste provoque un choc diplomatique en Europe et soulève de vives inquiétudes quant à la fiabilité de l’engagement américain.
Mais au-delà du geste lui-même, ce que révèle cette suspension est la vision profondément transactionnelle des relations internationales portées par Trump : l’aide devient un levier, non un engagement moral ou stratégique.
Un exemple encore plus explicite de cette logique apparaît quelques semaines plus tard, avec la proposition controversée d’un accord sur les ressources naturelles.
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Selon ce projet, l’Ukraine aurait cédé jusqu’à 50 % des revenus issus de l’exploitation de ses minerais stratégiques – lithium, titane, terres rares – à un fonds américain, en échange de la reprise de l’aide militaire. L’accord, signé fin avril 2025, aboutit à la création d’un fonds d’investissement conjoint entre Kyiv et Washington, destiné à exploiter les ressources naturelles ukrainiennes : minéraux rares (terres rares, lithium, titane, uranium), pétrole et gaz naturel.
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L’Ukraine conserve la propriété et le contrôle exclusifs de ses ressources, bien que l’exploitation soit encadrée par le partenariat. L’un des buts affichés est de garantir un soutien à long terme des États‑Unis à l’effort de guerre ukrainien, en échange d’un accès prioritaire aux ressources, sans engagements formels en matière de garanties de sécurité pour Kyiv.
Négocier toute forme d’aideCette logique transactionnelle s’exprime aussi à travers des actions plus discrètes, mais tout aussi révélatrices, comme le gel temporaire de la livraison de missiles Patriot au mois de juillet, officiellement justifié par une « révision des capacités stratégiques » américaines.
En pratique, cette suspension a été perçue comme un moyen de pression implicite, destiné à inciter l’Ukraine à adopter certaines lignes politiques plus conciliantes, voire à ouvrir la voie à une redéfinition des objectifs militaires.
Au final, cette diplomatie transforme l’aide humanitaire ou militaire en monnaie d’échange. Chaque cargaison devient une pièce de négociation, chaque soutien, un contrat implicite.
Une approche qui fragilise les alliances et redéfinit les règlesLa guerre en Ukraine, loin d’être perçue comme un affrontement idéologique entre démocratie et autoritarisme, est reconfigurée comme un théâtre où se négocient des intérêts économiques et politiques à court terme.
Cette approche fragilise les alliances, introduit une incertitude structurelle dans la relation transatlantique et redéfinit les règles du jeu international autour d’une logique marchande assumée, où l’engagement moral est subordonné au bénéfice direct.
Face à la tendance américaine à instrumentaliser l’aide à l’Ukraine selon des logiques transactionnelles, le Canada adopte une posture claire : Ottawa rejette fermement l’idée d’une assistance conditionnée à des concessions politiques, économiques ou stratégiques.
À la différence des États-Unis sous l'administration Trump, qui ont suspendu des aides militaires en échange de contreparties, le Canada reste attaché à un soutien fondé sur la solidarité démocratique, le droit international et un engagement multilatéral stable. À plusieurs reprises, le gouvernement canadien a réaffirmé publiquement la fiabilité du Canada comme partenaire, insistant sur l’impartialité et la cohérence des engagements envers l’Ukraine.
Parallèlement, Ottawa renforce son rapprochement avec l'Union européenne. Le sommet UE‑Canada du 23 juin 2025 a abouti à la signature d’un partenariat stratégique en matière de sécurité et défense, première alliance de ce genre entre l’UE et un pays américain. Cet accord établit une coopération élargie sur le soutien à l’Ukraine, la cybersécurité, la mobilité militaire, les matières critiques et les chaînes industrielles stratégiques, tout en offrant au Canada l’accès au fonds européen SAFE de 150 milliards €.
Cet alignement confirme une volonté d’Ottawa de diversifier ses partenariats, de réduire sa dépendance militaire vis-à-vis des États-Unis, et de consolider un pilier euro-atlantique indépendant. Ce repositionnement renforce la crédibilité canadienne comme acteur fiable dans un ordre international fondé sur les règles, et témoigne d’une vision stratégique plaçant l’UE comme partenaire central de longue durée.
SudOuest