«La France a une dette envers moi» : à 102 ans, un déporté du STO réclame réparation à l’État
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Albert Corrieri a attaqué, ce mardi à Marseille, le ministère des Armées en justice pour faire reconnaître ses droits de déporté dans un camp de travail allemand de la Seconde Guerre mondiale. La décision sera rendue le 18 mars prochain.
«Je suis parti de Ludwigshafen avec des souffrances que je n’oublierai jamais. Cela fait 80 ans que la guerre est terminée et j’ai toujours les bombardements en tête», souffle Albert Corrieri à la sortie du tribunal administratif de Marseille ce mardi matin. Aux côtés de ses nombreux soutiens, le centenaire maintient qu’il ira jusqu’au bout pour faire reconnaître à l’État que sa déportation relève bien du crime contre l’humanité.
Ce Marseillais n’avait que 21 ans en 1943 quand il avait été arrêté par des sentinelles françaises et envoyé de force en Allemagne nazie pour intégrer l’un de ses camps de travaux forcés dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO) mis en œuvre sous l’occupation et le régime de Vichy. Il y passera vingt-cinq mois de sa vie, subissant de nombreux «moments d’horreur» et perdant presque son bras dans un bombardement qui hante toujours son esprit. «Le gars qui était à côté de moi a été tué net par un éclat qu’il a reçu en plein cœur. J’ai vu le sang couler, c’est inimaginable et ignoble», se remémore-t-il avec douleur.
Des faits qui n’ont jamais été véritablement indemnisés par les autorités françaises à son retour dans l’Hexagone en 1945, le préjudice n’étant pas reconnu comme crime contre l’humanité et donc imprescriptible. «Il y a bien crime contre l’humanité parce qu’il y a eu déportation et qu’Albert Corrieri a été esclavagisé. Il doit y avoir réparation financière», abonde Michel Ficetola, historien qui a accompagné l’ancien déporté dans sa réclamation auprès de l’ONaCVG (Office national des combattants et des victimes de guerre) et du ministère des Armées.
L’affaire a finalement été portée devant la justice face à l’absence de réponse des services de l’État. Le centenaire et son conseil, Me Michel Pautot, exigent réparation à hauteur de 43.200 euros, l’équivalent de 10 euros par heure travaillée gratuitement pour le compte de l’effort de guerre allemand. «Albert Corrieri vient demander réparation à la République française. Il demande de solder le bilan mémoriel de cette tragique période», a plaidé l’avocat devant la cour ce mardi, ajoutant que son client menait surtout ce combat «pour la mémoire et l’histoire» des victimes du STO, au nombre de 400.000 au total.
«C’est l’un des derniers rescapés de cette période, ils ne sont plus que quatre en France. Il faut aller jusqu’au bout et faire valoir les droits de ces victimes du STO. Elles ne peuvent pas rester à vie les oubliés de l’histoire», a ajouté Me Pautot à la sortie de l’audience. Ce fil conducteur a été balayé par le ministère public, qui a rejeté la requête d’Albert Corrieri en expliquant que les «dispositifs actuels» ne permettaient pas de l’indemniser. La décision a été mise en délibéré et sera connue le 18 mars prochain.
En réalité, la crainte de l’État, c’est de faire jurisprudence pour toutes les personnes du STO. Ce crime contre l’humanité doit être reconnu
Michel Ficetola, historien
Au début de l’année, un ancien travailleur du STO ayant travaillé quatorze mois en Allemagne avait lui aussi demandé réparation à l’État auprès du tribunal administratif de Nice. Là encore, le rapporteur public avait conclu au rejet de la requête du centenaire, estimant que le délai de prescription était dépassé. L’homme a finalement été débouté par la justice. «Si nous perdons, nous interjetterons appel devant la cour administrative d’appel. Il faut aller jusqu’au bout et faire valoir les droits de ces victimes du STO», martèle Michel Pautot.
«En réalité, la crainte de l’État, c’est de faire jurisprudence pour toutes les personnes du STO. Ce crime contre l’humanité doit être reconnu. Si on n’admet pas cela aujourd’hui, la France n’est plus le pays des droits de l’Homme», peste Michel Ficetola. Une énergie partagée par Albert Corrieri lui-même, qui a fêté ses 102 ans et même porté la flamme olympique à Marseille l’an dernier. «La France est en dette envers moi. J’ai tellement souffert que je ne peux pas abandonner ce que j’ai entrepris», lance-t-il.
lefigaro