Juan Gatti : « Les défis me stimulent »
Dès qu'il eut reçu son diplôme, il l'enroula pour en faire une sorte de télescope et, amusé, scruta l'auditoire à travers le trou, abandonnant toute formalité. Par ce geste, Juan Oreste Gatti reçut un doctorat honoris causa de l'Université de Buenos Aires, en hommage à ses parents qui avaient toujours souhaité un fils docteur.
Rebelle dans l'âme, Juan Gatti est né au milieu du XXe siècle à Quilmes, dans la province de Buenos Aires. À la fin des années 1970, après des études aux Beaux-Arts, il intègre l'avant-garde artistique de l'Institut Di Tella, d'abord comme illustrateur et créateur de mode, avant de rejoindre la scène rock argentine. Son visage ne vous est peut-être pas familier, mais son œuvre l'est assurément. Directeur artistique des labels Mandioca et Talent, avec Jorge Alvarez à la production musicale, Juan Gatti crée la pochette iconique et originale d'Artaud (Pescado Rabioso), les illustrations oniriques des albums Humano (Pastoral) et Confesiones de invierno (Sui Generis), ainsi que l'illustration enfantine de Pappo's Blues 2 (Pappo).
L'hommage à Juan Gatti s'est déroulé à guichets fermés.À New York, durant la transition entre le disco et le punk, il développe des projets pour l'exceptionnel Klaus Nomi et le groupe de salsa et de musique caribéenne Fania All-Stars. Il arrive à Madrid alors que l'Espagne se libère de près de quarante ans de dictature franquiste et signe chez CBS International, le label le plus influent des années 80. Au plus fort de la Movida Madrileña, Gatti collabore avec Miguel Bosé, Tequila et Mecano durant leur période la plus kitsch ; parallèlement, il renoue avec sa passion pour la mode en travaillant avec Jesús del Pozo et Sybilla.
Il a ensuite occupé le poste de directeur artistique chez Vogue (Italie), Karl Lagerfeld et, bien sûr, Pedro Almodóvar, conférant à ses films leur identité visuelle. Il a également collaboré avec Álex de la Iglesia, Alfredo Arias, Lucrecia Martel et Luis Ortega. Son travail est de l'art, quel que soit le médium : mode, cinéma, musique, publicité, scénographie, illustration, théâtre, mobilier, photographie – rien n'y échappe. Son œuvre se caractérise par son audace, sa vitalité et sa fantaisie, ou comme il l'a lui-même exprimé dans l'amphithéâtre principal de la FADU (Faculté d'Architecture, de Design et d'Urbanisme) : « Les défis me stimulent ; je suis enthousiaste à l'idée de savoir que j'ai le pouvoir de me transformer et de faire évoluer les styles. »
Gatti lors du dialogue avec les étudiants.Lors de la troisième édition du Festival international du film UBA (FIC.UBA), dans la cour centrale de la FADU, l'exposition Juan Gatti : Cartelera 1986-2023 était présentée, un hommage avec une sélection de ses affiches de films emblématiques et de ses œuvres de graphisme.
Devant une salle comble, Gatti a affirmé apprécier que sa carrière de cinquante ans continue de servir de point de rencontre avec les jeunes . « Le design », a-t-il défini, « est un art appliqué, et pour évoluer dans ce domaine, il est nécessaire de posséder la plus grande culture visuelle possible afin de choisir, selon le projet, les outils à mobiliser dans sa boîte à outils intellectuelle. »
Affiche du film Attache-moi ! de Pedro Almodóvar.De nombreuses questions ont été posées lors de l'échange avec les étudiants. Avec beaucoup d'enthousiasme, elle a expliqué qu'« il est toujours préférable de commencer un projet avec un crayon et du papier » et a également suggéré : « Ne vous contentez pas de regarder votre environnement, scrutez-le attentivement. »
Tout au long de la conversation, il a provoqué des rires et quelques moments gênants, et a offert ce conseil : « Essayez de vous amuser, ne le prenez pas trop au sérieux et ne soyez pas trop rigide, concevez en gardant la cohérence à l'esprit et écoutez les exigences du projet avant de commencer à travailler. »
Clarin
